Un bon exemple.

C'est un exemple parfait pour expliquer pourquoi nous ne pouvons pas faire des choix de livres en fonction de leurs valeurs vénales.
La plupart de nos livres n'ont pas de prix. Ils sont là, transmis d'une génération à l'autre sans vraiment d'attentions, malmenés. Un jour, ils deviennent présents à nouveau dans nos vies, à la faveur d'un souvenir, d'une envie.

Celui-ci n'est pas en bon état, ni en mauvais état.
Le démonter pour le remonter n'apporterait qu'une action dénaturante, beaucoup de dégâts pour des matériaux industriels de grande consommation, déjà à cette époque, départ de l'industriel.


On peut recoller un peu ici ou là, lui redonner une allure en redressant les cartons mais c'est tout.

Son état est aussi le sort de nos objets qui s'usent pour finir délabrer.
Y être attaché est touchant mais souvent peu rentable pour le maître artisan que je suis.

Je vous accompagne dans les cours pour le soin de ces livres auxquels on tient, mais, à moins que vous ne soyez décidé à investir entre 200 et 500 euros, je n'accepte pas les livres de grandes séries de la fin du 19ème et du début du 20ème anonymes, en mauvais état ou non.
En tant que personne en empathie, je comprends qu'on veuille parfois le faire quand même.

Il n'y a pas de jugement de valeur à proprement parler, il y a un principe de réalité.

Vous devriez vous poser la question de savoir pourquoi je travaillerais à perte pour vous?
Pourquoi je devrais pallier à votre défaut d'attention de vos livres délaissés depuis si longtemps, qui retrouvent, à la faveur d'une curiosité soudaine, de l'intérêt?
Pourquoi je devrais passer autant de temps et appliquer autant de soin à des produits de manufacture industrielle?

Ce sont les bonnes questions avant d'aller chez un relieur.

Pour le bibliophile, c'est une autre chose.
Le bibliophile collectionne et investit parfois beaucoup d'argent dans ses livres. Il trie déjà et s'il m'apporte un livre, c'est qu'il a une raison valable, quelque soit le livre.
Il ne rechignera pas ou entendra raison quand je lui expliquerai mon prix.

Sinon, il trouvera un relieur semi industriel, ou industriel qui prend encore pour de la petite série.

Je ne sais pas si, dans ce monde, ce que je dis à une réalité.

Il faut tenir: depuis 2007, j'entends qu'il faut tenir et que la crise passera ...
Hélas, la culture du gout, des belles choses, est noyée dans des débats permanents à ras les pâquerettes. 

Tout ça s'apprend, pour apprécier demande du temps, de la patience et des initiateurs passionnés.

Quelques exemples de reliures traditionnelles.

On parle?
On parle un peu.
Après les photos de ce que je sais faire, quand vous aurez lu.

Je travaille dans un restaurant et quand j'annonce que cela fait 25 ans que je fais ce métier apprentissage compris, la surprise est grande.
Ici, dans le village, tout le monde pense que j'ai les moyens ... oui! un maitre artisan, ça gagne. C'est bien connu. 

Vous pourrez faire, dire n'importe quoi ... la rumeur a la dent tenace.

Depuis 2007, soit 5 ans après m'être installée, la crise a fait fondre la curiosité et les affaires comme la mienne.
Nous avons gardé certains clients mais pas tous, j'ai dû déménager, perdre au passage un quart de mon déjà maigre CA. Il n'a jamais plus été à la hauteur de ce qu'il fallait de décent pour vivre. D'aides en miettes d'héritage obtenues à grand coup d'avocats ... j'ai pu tout de même faire perdurer ce métier et être heureuse de le faire.

En 2022, c'est encore pire qu'avant.
Les tenants de la culture et de la vertu passent sans me voir ... ils ont d'autres chats à fouetter entre actionnariat et loisirs, pertes sèches en pouvoir d'achat et absence d'envie.

Et puis les livres ... on s'en fiche un peu.
Se révolter pour la bibliothèque bombardée de Marioupol mais,

 le relieur qui voit dans le regard de ceux qui ont grandi avec les livres, et leurs rejetons qui ne s'en soucient pas parce que ce n'est pas de l'argent facile ... bof, ce n'est pas rentable, c'est une passion, c'est un loisir.

Je n'ai plus envie de dire à des personnes qui n'entendent pas qu'ils font fausse route depuis 20 ans au moins.
A quoi ça sert de donner de l'or aux cochons? La confiture? Ils s'en barbouillent déjà.

Nous avons changé de civilisations.
Oui bon d'accord et ?

Si je puis servir encore un peu? peut être?
Continuer à faire ce métier plein de sens pour les perdus de ce monde qui n'en finit pas de tomber.
Lisez Virgile Stark et ensuite on en reparle.

Puis la suite.

"Le réel s'évapore, les limites s'effacent, la conscience s'éparpille. Le Système technicien s'achève et nous broie ; mais il faut chanter les louanges de ce désastre et le présenter comme une conquête irréprochable de l'humanité. "

Le Navigateur obsolète - Les Belles Lettres

Quelques points de rappel que tout le monde connait: Livre ancien veut dire Ancien Régime, soit avant la Révolution Française.
Livre moderne est un livre fait avec des techniques industrielles, soit à partir de 1850 environ.

Aujourd'hui la plupart des livres sont des tas de feuilles en mauvais papier, objet de consommation jetable et dont je ne peux rien faire.

La culture du livre est une culture humaniste et humaine, faite d'histoire de géographie, de français, de langues anciennes, étrangères, d'économie sociale et politique, d'ouverture à la lente construction de la société occidentale et orientale avec des échanges fructueux.
Sans parler de l'aspect manuel, rigoureux, géométrique.

Tout ce qui se passe aujourd'hui est tellement nul avec cette classe de politiques et de journalistes affiliés à ces politiques, eux même affiliés à des entreprises multinationales qui détruisent tout, avec internet et le consentement de la plupart d'entre vous.

Ce ne sont pas les activistes écolos bobos radicaux, ni aucun extrême, qui vont changer quelque chose: ont-ils seulement la conscience d'être les enfants des livres et, par voie de conséquences de ceux qui se sont battus pour que le savoir se diffuse et augmente la capacité de réfléchir et surtout d'imaginer sans aller forcément à la violence?

Voyez-vous ... après avoir travaillé dans un hôtel ou j'ai refait des chambres pour d'autres touristes ce soir, fait un peu de plonge, ouvert ma boutique à 15H00 sans voir  ni un pelé et ni un tondu ... le sentiment d'absurdité est au plus haut en lisant ceux qui veulent encore me donner des leçons de comptabilité et de vie ...
Mais ce n'est pas grave, j'ai le temps.
Bonne fin de dimanche à vous.


(... = respiration, gros soupir de lassitude)

La petite librairie est ouverte tous els dimanches de 15H30 à 18H30, l'atelier sur rendez-vous.
06 01 74 95 81

Le prix de la dorure.

Entre deux articles techniques qui correspondent à des travaux que j'ai dans l'atelier, il faut bien aussi parler un peu de ce qui change.
La dorure est un métier à part entière, très cher parce qu'il correspond à un savoir-faire rare avec beaucoup d'investissement au départ et tout au long de la vie et du travail du doreur.

Le cout des matériaux, du matériel, l'inflation qui a des répercutions sur les charges des artisans font que cette dorure est aussi chère que le travail de reliure que je fais.
Pour un demi à nerfs à coins, mon tarif devrait être à hauteur de 250 euros hors dorure et la dorure est à hauteur de 100 euros minimum pour un titre deux entre-nerfs filets etc ...

Je ne peux plus répercuter ce prix parce que mes clients n'entendent pas investir autant.

J'ai donc trouvé la solution de faire la reliure et de mettre un petit papier avec l'adresse de plusieurs doreurs dans le livre.
Libres qu'ils sont de faire titrer ou non.

La très grande insatisfaction que je retire de cette solution est sans limite.

Je pourrais, me dit-on, me former et faire ma dorure.
Outre le fait que l'investissement de départ est énorme, dépassant les 50000 euros, Polices de caractères, dans différentes tailles, composteurs, filets, fleurons, or (qui n'est pas le plus cher face aux outils).

Acheter d'occasion des outils dont les doreurs se débarrassent parce qu'ils sont émoussés, au bout de huit ans environ ... ne permet pas de faire du soigné, et cela reste très cher.

J'ai un CAP Arts du livre et j'ai fait un an de dorure avec Michel Richard, qui a été très clair avec moi: vous n'avez pas la rigueur nécessaire pour faire de la dorure même si vous sentez l'or et le cuir, la brillance.
En effet sentir ne fait pas tout, il faut avoir des qualités particulières que j'ai en reliure et non en dorure.

Il faut 10 ans pour faire un bon doreur: imaginez, à 66 ans, je pourrais espérer faire un travail honnête qui fait dire aux libraires: c'est un mauvais relieur parce que la dorure est moyenne.

Je suis très exigeante avec mon métier moi même et les personnes avec qui je travaille, c'est peut être la raison des délais que j'ai.
En ce moment, vous pouvez considérer, qu'au bout de 25 ans de fréquentation de mon métier et des métiers connexes, je suis experte techniquement et en tant qu'artisan, il ne sert à rien de vouloir lutter contre la terrible perte sèche d'intéret à nos métiers.

J'ai tenté en 2014 une VAE pressentant ce qu'il se passe aujourd'hui, en vain.
Même si j'ai fait des erreurs dans mon dossier, il me semble que depuis 1996 je me bats pour ce métier qui me fait exister dans la beauté de nos métiers d'Art.
Je ne suis pas entendue par des personnes qui ne savent pas ce que c'est que d'être à son compte en 2022.
Pour "vivre" comme on dit puisque ce métier malgré tous les efforts que je fais, n'y suffisent pas, je travaille comme femme de chambre et serveuse dans un restaurant appartenant à des mais, ce qui ajoute fatigue et difficultés.

La France, ce pays qui est une déception continue concernant la préservation de ses savoir-faire pour de vrai et non pour faire un déballage de farces et attrapes dans des dispositifs grands publics.

Qui traite, le petit, mal, traite la terre entière de la même façon. Je suis triste de faire ce constat.

Après les tranches dorées, le titrage des livres à l'or fin en feuilles, pour les livres courants ou demi-soigné, va disparaître en dehors des quelques ateliers de restaurations publics dans les bibliothèques.
Dire "ne reste que les meilleurs" est faux, il reste ceux qui peuvent se permettre de rester ayant des revenus à côté ou un conjoint(e), comme beaucoup dans nos métiers difficiles.

Quand on est mauvais, on est mauvais et on ne reste pas.
Il faut du temps de réflexion, d'exécution, de finition pour exercer.
En n'étant pas protégé, en n'évoluant pas dans un milieu protégé, il y a peu de chance pour que sortant d'une formation très chère, vous puissiez vivre de votre métier et garder intact votre amour des arts, tant la médiocrité, la bêtise, l'absence de conscience, de ce que nous représentons, sont grandissantes.

Faut-il illustrer mon propos par des images?
Je ne sais pas.
Cédons à ce monde de l'apparence pour une seule image.


Un décor de livre, une image d'illustration.
C'est un fleuron de type Alde, c'est-à-dire 16ème.
Vous trouverez, dans les libellés, les explications sur Alde.

Bonne soirée.

Antonin ou les filles, la religion et l'amour. 1

 Un joli livre faisant partie de la catégorie "curiosa".
Qu'est-ce donc que cette catégorie?

Il s'agit de publications de livres érotiques.

Curiosa. curiosités. cabinet de curiosités. On peut penser que cette catégorie de livres érotiques voire pornographiques se sont nommés curiosa à l'époque des cabinets de curiosité au 18, 19ème.
Vous trouverez là une bibliographie assez complète de titres sur ces livres condamnés eu feu, bien sûr ...
Registrum Librorum Eroticorum: Part 1 (1936) (horntip.com)

Pour aller plus loin, avec des notes et références dans les textes.
Microsoft Word - Mémoire_finalok3_co.docx (enssib.fr)

Il est en très mauvais état, sale, dérelié.

Voici les photos.
Et voici la procédure suivie.

1. débrochage après collationnement.
2. travail de photographie.
3. dépoussiérage avec un pinceau plat à poil dur.
4. gommage avec une gomme en latex (CDX)
5. Lavage à l'eau chaude (60°)+savon liquide PH neutre+séchage sur buvard de coton à l'air libre.
6. mise en presse 12 heures.
7. réparations des déchirures et des fonds.
8. mise en presse 12 heures.
9. Recouture.
10. opérations traditionnelles de la reliure.

Colle RH8 Relma ou APG, TYlose, Japon Papier de Lucas, garde blanches Jean Pierre Gouy. 
Papier Anne Lasserre.
Carton d'origine retraité.

il s'agit de l'eau de lavage du livre comparée avec une eau pure.

En haut le papier lavé légèrement moins jaune que le papier en bas. Il reprend du grain.

 

Même constat: à gauche, le livre lavé.

Voici pour cette première partie qui m'aura pris 9 heures.

A titre indicatif, voici la notice d'une vente dans laquelle est décrite le livre que j'ai, relié, lui, avec quatre autres livres.
Ce qui en fait un exemplaire rare, appartenant à une bibliothèque patrimoniale non connue.

La vie dissolue du flamboyant Milord Arsouille... - Lot 193 - Pierre Bergé & Associés

La vie dissolue du flamboyant Milord Arsouille Mylord Arsouille ou les Bamboches d'un gentleman. A Bordel-Opolis, chez Pinard, rue de la Motte, 1789 [vers 1891]. In-12, demi-chagrin rouge, dos à nerfs (reliure de l'époque). Edition clandestine de toute rareté, parue vers 1891. Elle est ornée d'un frontispice et de huit gravures libres hors texte, dont une tirée sur Chine appliqué. Mylord Arsouille était le surnom d'un dandy fameux dans le Paris des années 1830. On dit généralement qu'il s'agit de lord Seymour, compagnon de débauche du duc d'Orléans sous le règne de Louis-Philippe et fondateur du Jockey Club. On a cependant récemment contesté l'identité de Milord Arsouille : Lord Seymour (qui aurait claqué la porte du Jockey Club dont il était le président parce qu'on s'y amusait trop...) aurait été confondu avec Charles de la Battut (1806-1835), familier des cabarets et de la crapule, qui servit de modèle au Prince Rodolphe des Mystères de Paris (cf. le site françois. darbonneau.free.fr consacré au dandysme). (Dutel, 581 ; cite l'édition d'après Perceau, mais n'a jamais vu d'exemplaire.- Dictionnaire des oeuvres érotiques, 341-342.- Pauvert I, 352: « Mylord Arsouille, surnom donné à un héros bien réel, Lord Seymour »).

La vie dissolue du flamboyant Milord Arsouille... - Lot 193 - Pierre Bergé & Associés (pba-auctions.com)

A suivre ...