Le prix de la dorure.

Entre deux articles techniques qui correspondent à des travaux que j'ai dans l'atelier, il faut bien aussi parler un peu de ce qui change.
La dorure est un métier à part entière, très cher parce qu'il correspond à un savoir-faire rare avec beaucoup d'investissement au départ et tout au long de la vie et du travail du doreur.

Le cout des matériaux, du matériel, l'inflation qui a des répercutions sur les charges des artisans font que cette dorure est aussi chère que le travail de reliure que je fais.
Pour un demi à nerfs à coins, mon tarif devrait être à hauteur de 250 euros hors dorure et la dorure est à hauteur de 100 euros minimum pour un titre deux entre-nerfs filets etc ...

Je ne peux plus répercuter ce prix parce que mes clients n'entendent pas investir autant.

J'ai donc trouvé la solution de faire la reliure et de mettre un petit papier avec l'adresse de plusieurs doreurs dans le livre.
Libres qu'ils sont de faire titrer ou non.

La très grande insatisfaction que je retire de cette solution est sans limite.

Je pourrais, me dit-on, me former et faire ma dorure.
Outre le fait que l'investissement de départ est énorme, dépassant les 50000 euros, Polices de caractères, dans différentes tailles, composteurs, filets, fleurons, or (qui n'est pas le plus cher face aux outils).

Acheter d'occasion des outils dont les doreurs se débarrassent parce qu'ils sont émoussés, au bout de huit ans environ ... ne permet pas de faire du soigné, et cela reste très cher.

J'ai un CAP Arts du livre et j'ai fait un an de dorure avec Michel Richard, qui a été très clair avec moi: vous n'avez pas la rigueur nécessaire pour faire de la dorure même si vous sentez l'or et le cuir, la brillance.
En effet sentir ne fait pas tout, il faut avoir des qualités particulières que j'ai en reliure et non en dorure.

Il faut 10 ans pour faire un bon doreur: imaginez, à 66 ans, je pourrais espérer faire un travail honnête qui fait dire aux libraires: c'est un mauvais relieur parce que la dorure est moyenne.

Je suis très exigeante avec mon métier moi même et les personnes avec qui je travaille, c'est peut être la raison des délais que j'ai.
En ce moment, vous pouvez considérer, qu'au bout de 25 ans de fréquentation de mon métier et des métiers connexes, je suis experte techniquement et en tant qu'artisan, il ne sert à rien de vouloir lutter contre la terrible perte sèche d'intéret à nos métiers.

J'ai tenté en 2014 une VAE pressentant ce qu'il se passe aujourd'hui, en vain.
Même si j'ai fait des erreurs dans mon dossier, il me semble que depuis 1996 je me bats pour ce métier qui me fait exister dans la beauté de nos métiers d'Art.
Je ne suis pas entendue par des personnes qui ne savent pas ce que c'est que d'être à son compte en 2022.
Pour "vivre" comme on dit puisque ce métier malgré tous les efforts que je fais, n'y suffisent pas, je travaille comme femme de chambre et serveuse dans un restaurant appartenant à des mais, ce qui ajoute fatigue et difficultés.

La France, ce pays qui est une déception continue concernant la préservation de ses savoir-faire pour de vrai et non pour faire un déballage de farces et attrapes dans des dispositifs grands publics.

Qui traite, le petit, mal, traite la terre entière de la même façon. Je suis triste de faire ce constat.

Après les tranches dorées, le titrage des livres à l'or fin en feuilles, pour les livres courants ou demi-soigné, va disparaître en dehors des quelques ateliers de restaurations publics dans les bibliothèques.
Dire "ne reste que les meilleurs" est faux, il reste ceux qui peuvent se permettre de rester ayant des revenus à côté ou un conjoint(e), comme beaucoup dans nos métiers difficiles.

Quand on est mauvais, on est mauvais et on ne reste pas.
Il faut du temps de réflexion, d'exécution, de finition pour exercer.
En n'étant pas protégé, en n'évoluant pas dans un milieu protégé, il y a peu de chance pour que sortant d'une formation très chère, vous puissiez vivre de votre métier et garder intact votre amour des arts, tant la médiocrité, la bêtise, l'absence de conscience, de ce que nous représentons, sont grandissantes.

Faut-il illustrer mon propos par des images?
Je ne sais pas.
Cédons à ce monde de l'apparence pour une seule image.


Un décor de livre, une image d'illustration.
C'est un fleuron de type Alde, c'est-à-dire 16ème.
Vous trouverez, dans les libellés, les explications sur Alde.

Bonne soirée.