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mercredi 13 juillet 2022

D'un métier à l'autre.

Je vais ici tenter de faire une sorte de rédaction, à l'ancienne, de ce que j'ai retiré, pour le moment, de l'expérience augmentée de conserver le métier de relieur, élargi à ceux d'autres métiers.
Au pôle emploi, on aurait parlé de compétences transversales.
Je préfère parler de métiers complémentaires.

Le lieu.

Quand vous entrez dans l'atelier, l'encombrement est manifeste. Je vous ai mis tout de suite en contact direct avec la matérialité des livres: accumulation, étagères remplies de livres, poussières, piles invraisemblables en attente de recherches et de rangement, couleurs, odeurs, textures, formats: tout y est.

Je n'applique aucune classification, ni DEWEY, ni autre, à mes livres. Les étagères sont trop petites, la maison, la pièce professionnelle même, pour contenir 4000 livres choisis dans un dépôt, qui en contient près de 70000 en cartons numérotés, classés.
Si vous suivez un peu le blog, vous retrouverez dans d'autres rubriques, le long parcours de 25 ans de construction d'un atelier de reliure.
En 1996, je n'avais absolument aucune idée de ce qu'était un livre relié. Un vrai, comme ceux que je fais depuis ma formation dans une école prestigieuse, que tout le monde a oubliée, parce que fermée en 2004 par P. Bergé, entre autres personnes, et des artisans de renom, formés dans cette même école, professeurs aussi, dans leurs ateliers et dans cette école.
La qualité esthétique des outils et machines, en bois et fonte, en font un lieu chaleureux. Tous ces dos de cuirs dorés à l'or fin, en cuir ou en toile de percaline, en soie, le rendent beau.

Vous savez comment cela se passe avec les livres: vous rangez et à la faveur d'une recherche d'un titre, tout est à recommencer, tout est redéclassé. Autant faire ce que j'ai toujours fait, ignorer l'ordre et se contenter de s'y retrouver dans un chaos compulsif connu par jeu d'associations: "lorsque j'ai dérangé la terre de Zola, j'étais en train de boire un café, j'ai posé ma tasse sur le bureau avec le livre, qui me dérangeait pour travailler, je l'ai posé sur la pile des livres à déplacer ailleurs en cas de, il y est toujours."

L'atelier est une pièce à vivre reconvertie en lieu professionnel avec tous les défauts que cela peut comporter: absence de fonctionnalités.

Les étagères sont alignées sur la gauche en entrant, et un peu sur le bureau devant la porte.
Le reste des livres sont mes livres à la commande de reliure, propriétaires privés pour la plupart.

Voilà pour la description sommaire du lieu.


La nécessité d'évoluer.

Avec le temps, va tout s'en va ... dit la chanson. Depuis 10 ans, peut être moins suivant l'endroit où vous êtes, la commande de reliure s'est raréfiée. Mon atelier atypique installé en campagne n'a pas mis beaucoup de temps à se faire connaître à l'aide des réseaux.

J'aime à penser que ce sont mes compétences plutôt que l'histoire de ma famille, qui a toujours interféré dans mon parcours par l'entremise de personnes tiers - je vous passe les détails d'une histoire que je n'ai pas encore digérée, si tant est qu'un jour, je puisse le faire en ayant toutes les informations - un cocktail moderne entre espionnage, harcèlement, agroalimentaire breton et optimisation fiscale assortie de tout un tas de personnages secondaires de la zone sombre qui va bien avec les milieux de la drogue, du crime organisé et de la fraude en tout genre.

Nous étions environ 3000 - je n'étais pas encore installée - en 1996, au Syndicat de la reliure brochure national. Aujourd'hui 2022 ... on entend dire qu'il y a une quarantaine (*1) de relieurs qui ont survécu à la grande transformation de la chaîne de fabrication du livre, sa destruction entrainant avec les nouvelles technologies, beaucoup d'entreprises à qui il était impossible d'évoluer: un relieur qui simplifie son métier n'est plus un relieur mais un technicien massicoteur, colleur, empaqueteur.


La nécessité d'évoluer par l'innovation soutenue, voulue par la logique consumériste, la modernité, ne pouvant être réalisée dans un atelier traditionnel, celle de comprendre que les process - mot typiquement industriel des années 80 liées à la finance déglinguée - du 19ème, les systèmes de production, les cent étapes, pouvaient être toxiques pour la conservation du livre, il faut résister.
C'est, en effet, au 19ème avec la ruée vers l'or et la soif de puissance, la conquête, des grands hommes de ce siècle, la découverte de la chimie et des produits dérivés, que la dégradation des supports s'est mise en place: 100 ans après 1850, on sait que toute la production 19ème, plus ou moins, est difficilement conservable. Dans le sens de stopper les dégradations du temps, de l'acidité, des échanges moléculaires.
Dans le sens, aussi, de se demander ce qu'il faut garder: qui a assez de temps et de curiosité pour alimenter sa culture et savoir ce qu'il faut garder et ce qu'il faut rejeter?
Au nom de quel critère valable aujourd'hui, obsolète demain, regretté après demain?

Nous ne vivons pas de troc.
Vivre de son métier d'Art a toujours été compliqué et, avec nos sociétés modernes rejetant le travail manuel au rang de sous-travail, ne considérant pas le relieur comme un lettré capable de se consacrer à de la recherche comme une tache à part entière rémunérable dans un travail autour des livres, c'est compliqué.
Chacun a sa place. 
La société structurée des années 1900 à 2000, à la recherche du temps et du profit maximum, embringuée dans ses contradictions prolétariennes, capitalistes, marxienne et consumériste, a fait de nous des manœuvres œuvrant pour une maison d'édition, un imprimeur ou un libraire ou les trois à la fois, éclatant le modèle de l'ancien régime en autant de petits nodules satellitaires incapables de travailler de concert, chacun tirant la couverture à soi.
Et Jeff Bezos est arrivé ... Ruinant le modèle économique de la vente et de la distribution des livres, surfant sur le net.

Partout, on vous dira en France que mes délais sont longs. C'est un fait. Il faut se rappeler que les relieurs du 19ème avaient le temps et se faisaient rappeler régulièrement à l'ordre en raison de la même chose: le temps (lire Béraldi), trois ans de délai, de mémoire, pour une prestigieuse maison de relieur à Paris avec l'envoi d'un coursier régulier pour pallier à cet inconvénient.
J'ai parlé déjà de la réalité économique au 21ème ... c'est impossible à réaliser aujourd'hui en 2022, en Europe, sans avoir au choix, une famille fortunée qui pallie à vos besoins primaires, un conjoint(e) qui travaille, un salaire donc, un mécène privé ou d'état, un autre travail à mi-temps - solution que j'ai choisie - une structure de solidarité et d'aides d'état qui permet de faire exister une activité patrimoniale - ce que j'ai connu entre 2005 et 2010, puis 2016 à 2021, avant 2004, je fus mariée et en formation, entre 2010 et 2016, à la suite du décès de mon père, le capital, durement obtenu à coup d'avocats contre ma famille spoliante, a pris le relais. 
Mon atelier s'est donc construit financièrement à partir de la Solidarité Nationale à laquelle j'ai contribuée par les cotisations à l'URSSAF en tant qu'artisan, à partir d'un capital familial qui  a permis d'acquérir un lieu emblématique, et du fruit de mon travail.


Et l'évolution vers le métier de libraire?


Très vite, ce métier vous met en contact avec des personnalités étranges: les collectionneurs, les libraires, les bibliothécaires, les conservateurs, les commissaire-priseur.
Vous constatez amèrement que votre culture est lacunaire. Je ne reviens pas sur les raisons de ces lacunes, elles sont multiples (milieu social, évènement traumatique, contexte économique, liste non exhaustive).
Passant le baccalauréat deux fois médiocrement, lettres et mathématiques et lettres et économies sociales, pour des raisons d'absences totales de projets dans les années 80, un diplôme de graphiste, quelques bout d'études en compta des entreprises, en arts plastiques à Rennes II. C'était douloureux de sentir le décalage permanent entre ce que l'on attendait de moi, c'est à dire: rien, ce que je ne savais pas encore que je voulais, et la rapidité avec laquelle, la panique même, le stress du monde des affaires de la finance dans lequel se noyait déjà ma famille.
Nous n'avions pas le temps d'assimiler exactement nos connaissances déconnectées de la période que nous vivions de déjà grande transformation, où les seuls qui, peut être, avaient du recul, étaient les 50 fonctionnaires de l'état gouvernant le pays, associés au entreprises du CAC 40.
Un choc titanesque de mondes catastrophiques, en délitement pour les uns, en guerre pour les autres.
Je n'ai jamais su me contenter de faire ma petite part d'humaine sans comprendre le monde humblement, dans sa complexité. Ces décalages successifs demandent un jour de se poser, de prendre le temps de savoir ce que l'on veut bâtir pour demain, nos jeunes. Ma fille de 23 ans a cette colonne vertébrale en elle: elle sait que je suis là pour elle et que mes choix de vie sont étroitement liés à elle.

De relieur faisant toutes ces recherches, j'ai fait ces efforts à contre-courant de me former en restauration, mode de l'époque 1980 à 2010, puis à la conservation avec l'arrivée des techniques médicales et scientifiques au profit de la compréhension chimique des matériaux et donc de la maitrise de leur dégradations, en sachant que tout sur terre a une durée de vie plus ou moins longue. Nous naissons, nous créons des objets, contenant en eux mêmes les éléments de leurs destructions.
Comment fait-on pour vivre vieux en bonne sante? Comment fait-on pour préserver un patrimoine pour la connaissance des futures générations?

De relieur, je suis passée à restaurateur consciente que ce que je fais, et dans l'optique de la transmission. La création en reliure est une autre dimension: nous ne faisons que assécher la technique du 19ème, fastueuse, décadente, pour retourner à l'essence du livre: des matériaux nobles pérennes, un pli, du fil et une enveloppe protectrice.

Je n'aborderais pas les difficultés liées à la disparition des matériaux de qualité, des métiers connexes, de la cherté de ceux-ci étant donné le temps passé à réaliser un travail d'Art en France avec un cout du travail énorme, qui empêche de se rémunérer correctement et fait fuir les clients à l'annonce de nos prix pour des livres dont ils n'ont pas fait le travail dont je parle plus loin, de tri et de réflexion: pourquoi acheter et collectionner? pour qui?

Les rencontres.
Elles ont fait le reste dans cette vie au service de la mémoire.
Pierre Yves, libraire de son état depuis 33 ans, est un peu comme moi, accumulant et regardant sur le temps, ce qui est intéressant. Sa connaissance vient d'une solide base d'études universitaires, de la curiosité personnelle, de l'intéret pour la façon dont les livres changent les hommes, de ses maîtres en librairie, de la manipulation incessante de livres.
Il a cette position difficile de gagner sa vie avec un métier en perte de vitesse avec le désintérêt total du monde pour le livre ancien comme objet et comme contenu, de faire un tri en prenant des risques sur des sujets qui plaisent ou qui plairont.
Gagner sa vie en chinant, passant des ordres en SAV, faisant des adresses chez les particuliers, étant confronté à des personnes qui travaillent en bibliothèques, institutions, sur du numérique essentiellement, ne comprenant pas l'essence du métier: plus le stock est trié, travaillé, choisi, plus il est intéressant.

Face à J. Bezos, ferrailleur du livre, ayant mis en place un système qui a fait florès, je crois qu'il a vendu d'ailleurs, quelle chance ont les libraires de garder encore une place qui permet de dégager un revenu décent, outre les charges liées à toutes professions libérales?
Je laisse cette question en suspens.
Face à cela, la détermination que j'ai eu et que j'ai toujours à construire, faire évoluer une entreprise comme la mienne, même si elle est TTPE, n'a pas de prise: je suis donc devenue chercheur par nécessité de savoir ce que je vends, de le conserver au mieux, d'éliminer des choses-livres qui ne sont que des objets sans âme, déjà déliquescents.

Dans mon travail à venir, je vais continuer à relier ce qui mérite de l'être, restaurer et conserver, étudier ce qui est nécessaire à la transmission de ce que j'ai appris, et étudier comment un libraire construit un stock de 100000 livres au 21ème siècle, en faisant des choix sur 33 ans.


Cette étude a pour but de servir à la connaissance du métier de libraire, de relieur qui ne seront plus connus dans quelques années, si nous passons le cap des dégradations du climats, impactant aussi nos métiers (humidité, écarts géants de température, destructions économiques), pour les jeunes générations, qui devront se déplacer à nouveaux dans les fonds anciens et manipuler des livres, comprendre comment et pourquoi ils sont privés de cette expérience intellectuelle et sensorielle de la lecture d'un livre, patrimoine relié écrit imprimé qui depuis plus de 500 ans structure en creux nos sociétés.


Comment matériellement, je fais cette étude? 


Depuis le premier confinement et à de rares exceptions, depuis février 2020, je vais bénévolement, toutes les semaines dans le dépôt de Pierre Yves, l'aider à trier, ranger, déplacer des livres dans des cartons, déplacer des cartons, le questionner sur son métier et comment il voit l'avenir de son métier.

Je prends des notes, je choisis aussi des livres avec lui, lui demandant son approbation quant à mon choix, qui me semble correspondre à ce que j'ai envie de vendre dans l'atelier.
Les livres sont en dépôt, ma recette est à peu près de 30 euros par mois sur deux ans ... anecdotique, mais comme pour le reste, la connaissance et la mise en valeur de nos petites activités portées uniquement par nous-mêmes me motivent. Toujours pour la transmission et pour la beauté de nos métiers, la beauté des livres.

Nous sommes *les gardiens de livres, au même titre que des conservateurs œuvrant pour l'état. 
De l'autre côté de la chaîne, ce qui fait la différence avec les "J. Bezos" qui vendent à peu près tout et rien, au kilo, pour de la solidarité de pacotille, pour du profit dévoyé, n'étant pas relié à la décence de nos vies à gagner, c'est le travail colossal inconnu que nous faisons, parfois à perte économique.
Il n'y a pas de situation parfaite: l'indépendance d'esprit en accord avec ces métiers ne nous enlève pas les contraintes mais aide à se sentir en accord avec soi, avoir une vie qui a du sens. Reste à se battre pour élargir, faire comprendre nos choix et leurs utilités à la société humaine.

*- Ce très beau livre aux éditions Interférences, que je vous conseille de lire, en hommage aux courageux qui font nos métiers.
 
*1- Installé depuis plus de 15 ans, dans une structure de Chambres de métiers.
Les auto entrepreneurs, les relieurs improvisés avec des tutoriels DIY, les amateurs ne sont pas dans la même catégorie, puisque nous gérons des entreprises qui sont aussi juridiques, administratives quand nous sommes enregistrés CM.
Les dispositifs permettent d'alléger les charges sous un certain CA tout en étant bien identifiée comme une entreprise individuelle avec un Siren/SIRET. Ce que les impôts contestent, les élus n'ont pas conscience, tout le monde marchant à la quantité de CA et non la qualité de travail.
Techniquement je peux gérer 10 devis à 4000 euros à l'année. Un CA suffisant pour vivre étant donné le temps passé à travailler et le mode vie particulier relatif à nos métiers.
Je peux faire un seul devis à 4000 euros à l'année s'il est de qualité. Sinon en acceptant des devis petits sur des livres qui n'ont pas les qualités pour supporter la reliure ou la restauration, le temps passé, je perds de l'argent.
Peu de gens ont conscience de ce que nos entreprises ne sont pas que des passions, mais d'abord des activités indépendantes culturelles et patrimoniales, qui doivent nous faire vivre.
Un atelier comme le mien dans un village est une valeur ajoutée ... patrimoniale, touristique, économique.

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