Chaque livre est unique,
par son mode de reliure et par la composition des matériaux qui la servent:
papier, fil et ficelles, cuir et/ou parchemin.
S'ajoutent à cela des matériaux moins évidents, moins apparents: encre, colle, pigments.
Tous vivent avec le temps, se déforment au gré des stockages et des manipulations qui leurs sont imposés.
La reliure est un ensemble de gestes, d'étapes qui créent des contraintes et des tensions appliquées à ces matériaux.
Les cuirs, les papiers, les fils et les ficelles n'ont pas, par exemple, la même courbe de vieillissement, le même temps de vie, les mêmes contraintes de déformations.
A la réalisation de ce premier constat, on peut se demander comment un livre peut exister: Pourquoi le fil ne déchire pas le papier? comment se fait-il que l'encre ne se dilue pas lors de l'humidification du papier? comment un livre peut s'ouvrir et se fermer de façon répétitive presque à l'infini, sans jamais se déformer dans des conditions d'utilisations normales?
Toutes ces questions anodines, qui semblent sans intérêt à la plupart des lecteurs, entrent en résonnance avec notre métier.
Un relieur, à force d'utiliser et de mêler les matériaux qui composent un livre, se fait une batterie d'expériences qui lui servent lors de l'observation de la reliure et de ces dégâts, que ce soit le corps d'ouvrage ou la reliure.
Les deux parties sont intimement liées lors de la fabrication de la reliure, mais lors de l'étude des différents dégâts et dégradations, on les étudiera chacune dans une catégorie.
Il n'est pas, en effet, nécessaire de toujours traiter le corps d'ouvrage en décousant des cahiers qui tiennent. Tester la solidité est possible en regardant à l'intérieur de chaque cahier, en reposant un fil par exemple, neuf, en lin, voire teinté au thé et bien sec.
La reliure peut être maintenue de beaucoup de façon par un soufflet au dos par exemple, par des ficelles repassées ou des claies. Chaque solution est murement réfléchie avec des matériaux soigneusement choisis: papier neutre à peu d'incidence sur les anciens matériaux, colle d'amidon naturelle, cuir dont on sait exactement les traitements de tannage.
Reprendre d'anciens matériaux présentent toujours un risque de fragilité.
L'esthétique prime quand on reprend des cuirs anciens par exemple. Ce qui n'est pas toujours l'objectif recherché dans une restauration.
Le risque de perdre des informations et de dénaturer un objet est toujours présent à mon esprit. Certains livres, il est question de sensibilité personnelle dans ce cas, ne doivent pas être touchés, juste étudiés pour comprendre ce qui fait qu'ils sont dans cet état.
C'est le cas de figure présenté ici, en plusieurs articles.
Le parchemin a rétréci et même s'il existe une méthode pour le détendre, le risque de le perdre est présent. Il y a des manques: peut-on faire des greffes? avec quel autre matériau? avec quelle colle? comment se comportera la partie neuve greffée? quel est le bénéfice de la restauration pour quelle utilisation?
Refaire un pastiche n'est-il pas plus judicieux?
Une fois encore, la sensibilité entre en jeu et la place du livre dans un fond privé ou dans un fond publique change la réflexion.
Pour le moment, j'ai peu de renseignements sur ce livre.
Je le livre à vos regards, les photos, les commentaires, et ce que je penserai faire, arriveront ensuite, sans pour autant que ce travail soit nécessaire.
Il manque des pages à la fin.
Là encore on peut imaginer trouver un autre exemplaire incomplet et en refaire un seul.
C'est une pratique de libraire et de restaurateur dans le monde marchand qui semble scandaleuse, pour autant, est-il plus avantageux d'avoir deux exemplaires partiels?
Dans la mesure où il n'y a pas la volonté de tromper le monde, et même si au fond de moi je sens une certaine réticence et colère à faire cette action, je la ressens tout autant, la colère, quand je vois le peu de soin accordé aux livres qui arrivent dans l'atelier, dans cet état.
Il y a eu des abus. C'est certain. Mais aussi, il y a eu des livres sauvés ainsi qui sont entrés dans de grandes collections.
La reliure est un art noble avec ses corruptions, ses choix et ses rigueurs.
On ne peut que conseiller à chacun de respecter les intentions de départ qui ont fait en sorte qu'un livre a pu exister dans une aventure éditoriale, dans une société marchande, dont il n'est jamais sorti d'ailleurs, un projet intellectuel visant la diffusion d'idées, dans une société, un contexte.
Les matériaux nous racontent tout cela, les pratiques, que l'on devine à travers les déformations, également.
Des petites choses précieuses de tous les jours dans la pratique des ateliers passés.
Chaque matériau contient en lui-même ses propres agents de dégradations, les comprendre pour les maitriser est essentiel.
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