Cartable ou sac à main, blouson de motard ou escarpins ? Masculin mais féminin, animal mais raffiné, le cuir sait brouiller les pistes. Son odeur, source
d’inspiration des parfumeurs, est ambivalente. Dans son roman « Au bonheur des Dames », Emile Zola y trouve « de la bête en folie, tombée dans la boîte à poudre de riz d’une fille ». Alors que, pour Jean-Claude Ellena, parfumeur maison d’Hermès, « les plus beaux cuirs sentent les fl eurs ». Dénichée dans les réserves du prestigieux sellier, une délicate paire de gants fleurant la violette, l’iris et le narcisse lui a inspiré le dernier-né de la collection Hermessence : un Cuir d’Ange, léger comme l’aile d’un séraphin planant sur un nuage de musc…
Aristocratique
Entre la Renaissance et le XVIIIe siècle, le cuir est synonyme de raffinement. C’est Catherine de Médicis qui importe d’Italie la mode des gants parfumés. La ville de Grasse, centre de tannerie réputé, développe alors la culture des essences destinées à aromatiser ces cuirs de luxe, dits « verts » car ils sont tannés avec le myrte et le lentisque. Jusqu’en 1759, date où les deux métiers se séparent, les maîtres parfumeurs sont aussi gantiers. Le cuir est donc, en quelque sorte, à l’origine de l’industrie française de la parfumerie… Une tradition aristocratique remise au goût du jour notamment par Maison Fabre, gantier à Millau, qui assortit l’un de ses modèles d’un « exhausteur d’odeur » sous forme de talc contenant des microcapsules d’une composition cuirée. Mais aussi par Guerlain, qui propose dans sa boutique des Champs-Elysées des gants réalisés par la maison Agnelle embaumant La Petite Robe Noire ou Mitsouko. Dans le même esprit, Maison Francis Kurkdjian et By Kilian commercialisent des modèles de bracelets en cuir imprégnés de leurs créations.
Féministe
L’autre grande tradition du cuir en parfumerie vient de la cavalerie. Le cuir de Russie tient son odeur fumée du goudron de bouleau utilisé par les Cosaques pour imperméabiliser leurs bottes. Dès 1875, Guerlain en fait un parfum à porter, doté de nombreux héritiers puisqu’on recense plus d’une cinquantaine de cuirs de Russie lancés depuis la Belle Époque. Liée à l’équitation, la chasse, l’automobile et l’aviation, cette famille olfactive est exclusivement destinée aux messieurs… Jusqu’à ce que Gabrielle Chanel s’en empare en 1927 pour l’o ffrir aux garçonnes, tout comme son vestiaire d’inspiration masculine. Dompté et féminisé par une bouffée d’iris et un bouquet floral, le sillage fauve de son Cuir de Russie revendique explicitement un caractère androgyne. Une publicité Chanel de 1936 l’imagine porté par une grande brune « à la démarche décidée, à la voix habituée au commandement, lisant sans regrets de vieilles lettres d’amour, une cigarette opiacée aux lèvres, un flacon de whisky à portée de main ». Emblème olfactif de l’émancipation féminine, le cuir « couture » traînera longtemps un parfum sulfureux, comme en attestent Scandal de Lanvin (1933) ou Bandit de Robert Piguet (1944). Aujourd’hui encore, cette note pour affranchies conserve son aura provocante. D’abord, parce que son odeur âpre et sombre est loin d’être consensuelle. Ensuite, parce qu’elle permet de s’émanciper des jus girly, d’accentuer par contraste sa féminité comme on enfilerait un Perfecto… Peu courant hors du rayon masculin, le cuir est pourtant devenu l’un des accords emblématiques de la parfumerie de niche.
Et contemporain
Alien pour des éditions limitées en 2012, le procédé reste exceptionnel. Ce n’est pas en le distillant que les nez suscitent le cuir mais en combinant plusieurs notes dites « pyrogénées », qui vont du grillé au goudron. Le bouleau (fumé), le styrax (plus vanillé) et le cade (médicinal, confer les shampooings antipelliculaires) forment l’accord présent dans Cuir de Russie de Chanel, Black de Bulgari ou Shalimar de Guerlain. Bel Ami d’Hermès leur associe un autre ingrédient traditionnel, le castoréum. Issu du castor qui se nourrit de bouleau, celui-ci est de plus en plus souvent remplacé par des notes synthétiques pour des questions de législation européenne. Le tabac jouxtant le cuir sur la carte olfactive, Cuir Cannage de Christian Dior se sert du premier pour mieller le second. Le ciste labdanum, ambré et tabacé, se prête aussi à son évocation. Allié à l’arôme sirop d’érable de l’immortelle, il enrichit de tons mordorés Cuir Velours de Naomi Goodsir. Plus caramélisée, la note réglisse se décèle dans l’isobutyl quinoléine, molécule utilisée dans Bandit dès 1944. Boxeuses de Serge Lutens l’arrondit de prune et de cerise noire et Black de Comme des Garçons accentue sa facette brûlée avec des ingrédients combustibles : encens, poivre et clou de girofl e. Plus contemporaine et plus féminine, la note daim se traduit par des matériaux synthétiques comme le Suederal, que Cuir Beluga de Guerlain attendrit de vanille et d’héliotrope, ou naturels comme le safran qui prête sa senteur de chaussures neuves au Tuscan Leather de Tom Ford. La fleur blanche d’un arbuste chinois, l’osmanthus, allie le velouté du daim à celui de l’abricot, e et qu’on flaire dans le moelleux Bottega Veneta. Enfin, l’iris cache un fond cuiré sous son voile de poudre. Dans Cuir Ottoman de Parfum d’Empire, il se fait sec et souverain comme un coup de cravache. Tandis que Traversée du Bosphore de L’Artisan Parfumeur, loukoum à la rose sucré de musc niché dans une main gantée, révèle ses penchants gourmands. Car le cuir, cette peau de bête transformée en peau d’ange, sait troubler tous nos sens…
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