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lundi 29 avril 2019

Une reliure en parchemin de 1610.


Il existe beaucoup de façon de diagnostiquer l'état d'un livre.

Dans le cas de ce livre, il ne s'agit pas de découdre puisqu'il est "a priori" solide.

Une expérience passée de démontage qui masquait un dos perclus de galeries de vers m'a laissée un peu amère .. les réparations ont été telles sur les fonds de cahiers que le dos en a été presque doublé, faisant un dos très rond, qui n'avait plus rien à voir avec le dos d'origine, dos qui n'a pas résisté non plus.
Il s 'agissait d'un cuir.

Là nous avons un parchemin et en regardant bien au fond, on voit quelques galeries de vers ... C’est le signe qu'il ne faut pas démonter, sous peine de se voir avec un livre qui ne rentrera plus dans sa reliure à la fin de la recouture.

Nous n'avons pas dans nos petits ateliers de quoi repulper le papier avec de la pâte. Opération loin d’être anodine puisque elle implique que le livre, feuille à feuille,  soit posé sur une table et immergé dans l'eau avec de la pulpe de papier pour reconstituer la page.
Et que dire des annotations et autres encre ferrogallique ...
Et rien ne dit que la reliure reprendra sa place, une fois tout démonté. C’est bien le risque de se retrouver avec un ensemble incohérent parce nous avons cru ne rien changer, si ce n’est un fil, pourtant de la même épaisseur.

Nous réparons de façon traditionnelle dans les petits ateliers avec du japon et de la colle de pâte. Avec nos mains et notre habileté à poser droit, à découper, à choisir le bon grammage et la bonne nature de papier.

Ici, pour ce livre, je ne vais même pas réparer la première page puisque il s'agit d'abord d'arrêter les différents dégâts en cours.
Par:
- un dépoussiérage méticuleux, et une aspiration au fond des cahiers du livre.
- le recollage avec un filet de colle de la première page et d'un cahier de gardes.
- la mise en place d'un soufflet pour faire tenir le dos au livre et arrêter la déchirure naissante sur le mors.


Au delà de ces opérations simples et peu risquées, il n'est pas question de refaire, démonter, remonter, transformer ce petit livre qui n’est pas si courant que ça en raison de l'année d'édition qui n’est pas référencée dans l'article précédent sur ce livre.

Souvent on croit que le travail du relieur se borne à une succession de taches bien définies, sans questionnement ... Or quand un livre arrive dans un atelier, il s'agit bien de définir quel est le projet en premier de votre client: ce qu'il veut, ce qu'il croit et ce qui est possible.

Connaître d'abord la valeur d'un livre est difficile aujourd'hui.


Il faut avoir en tête sa propre responsabilité lorsque ce livre va se retrouver en succession ... si vous êtes intervenu de façon invasive ... le livre peut se retrouver déclasser, tout comme il le sera en raison d'un manque de connaissances des héritiers et autres marchands, conservateurs enfermés sur eux même, en manque de temps, pour trouver sa vraie place dans la grande histoire de la bibliophilie.

Intervenir sans la moindre réflexion ou recherches bibliographiques vous expose à, peut être, transformer, perdre ou détruire un objet pour les générations futures; ce temps de recherches incontournables ... est incontournable aujourd'hui et très chronophage.

Il n'a jamais été pris en compte dans mes devis, tout comme la rédaction et la recherche des devis, le temps passé.

Voilà qui remet encore en question la viabilité de mon atelier en cette mi année ... Tous les ans, une étape est franchie de plus pour faire prendre conscience de la grande capacité d'expertise d'un métier où j'ai trop souvent entendu rire des gens qui nous disent  tu devrais .. ceci cela.
Ce n’est pas un métier comme les autres et au bout de 22 ans de fréquentation assidue avec moi même et ce métier, la connaissance de ce métier ... je me demande si je vais encore tenir longtemps devant des personnes qui parlent toutes en même temps, et tout le temps.

Pour comprendre, avoir des notions de bibliophilie, pour savoir qu' une reliure n’est pas éternelle et suis le cours normal d'une usure ... il faudra un jour la remplacer pour garder le texte, le bloc texte et ses attributs intacts, sur le côté du blog vous avez des liens pour entendre des notions telles que:

avant 1800
grand papier
envoi
exemplaire unique ayant appartenu à l'auteur
peu de tirage ... 10 maximum
etc etc ...

Qu'une création sur un moderne ne pose pas trop de problème quand le livre est quelconque, c’est autre chose sur un livre identifié de valeur ayant une histoire bien connue.

Pour cela, il faut de nombreuses heures de recherches et de lectures.
Et l'expertise d'un artisan dont le quotidien est celui-ci ... l'attention portée au patrimoine écrit et aux dernières recherches scientifiques, bibliologiques et bibliophiliques, historiques.





D'autres exemples de vélins neufs, refaits, retouchés ou non, anciens.
Il n’est pas facile de travailler vite et bien et pas cher sans avoir défini avant le travail réel que vous avez à faire sur un livre et c’est souvent ... beaucoup plus cher que ce que vous imaginez.









La dévalorisation systématique de nos métiers pour ne pas augmenter le prix des livres est dommageable pour tout le monde et c’est ce climat qui règne en ce moment et depuis longtemps chez les bibliophiles.

C’est pour cette  raison que je parle de vrai diagnostic.
Depuis 16 ans d'installation, j'ai démonté beaucoup de livres incomplets, trop abîmés, sans valeur si ce n’est pour leur conception et leurs structures.

J'ai travaillé souvent pour beaucoup moins cher que ce que j'aurais dû facturer, par amour du travail bien fait et de la connaissance, et cela dans la plus pure indifférence de ceux qui se disent intéressés par le patrimoine écrit.

Ce n’est pas le même acte que de relier, de restaurer et de conserver.

Quand on est dans une démarche telle que la mienne, on ne peut pas faire du volume, travailler vite et bien, vite = la qualité perd forcément, on ne peut pas créer de jolies reliures et enchaîner les livres comme si on enchaînait les saucisses ... le temps de création est aussi un temps mental long, en plus de l'exécution proprement dite.

Il y a peu de relieurs qui aujourd'hui vivent de leur métier.
Ceux qui y arrivent, ont des revenus à côté et font exécuter les corps d'ouvrage, sont des créateurs de décors sur papier, font cela pour leur loisir.
Or, encore, aujourd'hui, cette grande différence est passée sous silence et cela participe de la méconnaissance de nos métiers.
Et d'une désillusion assurée pour les jeunes qui s 'installent quand ils comprennent ce en face de quoi ils sont.

Quel est donc le devenir de mon atelier en cette mi 2019?





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